Intérêt de l'imagerie dans la maltraitance de l'enfant                            

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour

INTERET DE L' IMAGERIE DANS LA MALTRAITANCE
Corinne MINARD
Manipulatrice du Service de Radio-Pédiatrie du CHU TOURS

 

I. INTRODUCTION

Depuis toujours, l'enfant a été victime de sévices, voire d'infanticide. Ces pratiques ont longtemps été admises, tolérées; elles le sont encore dans certaines cultures.
La notion de sévices à enfant fût introduite en 1860 en France par le docteur TARDIEU. Ce médecin légiste parisien publia une étude médico-légale sur l'existence, dans un pays civilisé, de sévices et mauvais traitements sur des nouveaux-nés et des enfants.
Son travail a d'ailleurs été à l'origine de la promulgation de la loi du 24 Juillet 1889 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés.
De nos jours, l'enfant " battu " ou suspecté de l'être à qui il convient de réaliser un bilan radiologique ne représente qu'une petite partie de la " maltraitance ". La maltraitance n'étant elle même qu'un sous-groupe de "l'enfance en danger".
Voici les définitions retenues actuellement en France, telles qu'elles sont données par l'ODAS (observatoire national de l'action sociale décentralisée) :
enfant maltraité : enfant victime de violences physiques, de cruauté mentale, d'abus sexuels, de négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique.
enfant en danger : enfant victime de conditions d'existence qui mettent en danger sa sécurité, sa moralité et son éducation.

II. EPIDEMIOLOGIE

2.1. Statistiques

· Nombre d'enfants en danger selon les sources ODAS
 
1994
1995
1996
1997
1998
Enfants maltraités
17000
20000
21000
21000
19000
Enfants en risque
41000
45000
53000
61000
64000
Total des enfants en danger
58000
65000
74000
82000
83000

· Répartition des types de maltraitance selon les sources ODAS
Enfants maltraités selon le type de mauvais traitement principal
1995
1996
1997
1998
Violences physiques
7000
7500
7000
7000
Abus sexuels
5500
6500
6800
5000
Négligences graves
7500
7000
5400
5300
Violences psychologiques
1800
1700
Total des enfants maltraités
20000
21000
21000
19000

· " Allo enfance maltraitée " (ou le " 119 "), qui est le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée crée par la loi n°89-487 du 10 Juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance, a reçu 2.171.000 appels en 1999. Le service a traité 710.000 appels.
La loi du 10 Juillet 1989, les campagnes de sensibilisations médiatiques, l'impact émotionnel de certaines affaires ont bien entendu conduit à une augmentation du nombre de signalements, mais la disparité des statistiques montre bien la difficulté du recensement du nombre réel d'enfants victimes de sévices par an.
On estime également à 3 ou 4% le taux de mortalité d'enfants par sévices par an, soit environ 700 enfants.

2.2. Les enfants victimes

2.2.1- Age
Environ 40% des enfants maltraités ont moins de 6 ans. Ceci est dû à une dépendance de l'enfant à sa famille d'autant plus grande qu'il est jeune et à la scolarisation non obligatoire avant 6 ans (vie permanente au sein du milieu familial).
75% des enfants maltraités ont moins de 12 ans.
2.2.2- Facteurs de risques
  • liés à l'enfant
    • moins de 3 ans
    • enfant illégitime, non désiré, né d'une autre union
    • séparé des parents : prématurés (20% de maltraités), hospitalisation, placement
    • enfant handicapé, enfant " difficile "
  • liés aux parents
    • alcoolisme, toxicomanie
    • parent isolé
    • carences affectives pendant leur propre enfance
    • troubles mentaux
    • difficultés de couple
  • liés aux situations socio-économiques
    • difficultés matérielles
    • échec professionnel
mais la maltraitance s'observe dans toutes les classes sociales.

2.3. Les maltraitants

  • 85% des maltraitances ont lieu au sein de la famille proche (père, mère, beau-père, belle-mère, concubin, ascendant, fratrie)
  • 10% se situent dans l'entourage de l'enfant (gardien, voisins, amis ...)
  • 3% sont des " professionnels " (de l'enfance, enseignants ...)

    III. LES SIGNES D'ALERTE

    Pour qu'il y ait certitude diagnostique de mauvais traitements, il faut soit :
    · un flagrant délit
    · des aveux
    · des lésions spécifiques :
    o fractures multiples d'âges différents (Sd de Silverman)
    o hématome sous-dural ( Sd de Tardieu).

    Les 2 premières conditions sont très rarement rencontrées.
    La multiplicité des pathologies ou des lésions traumatiques engendrées par la maltraitance fait que, dans un certain nombre de cas, le médecin ne peut avoir qu'une suspicion.

    3.1. les signes d'alerte

    • désordres alimentaires
    • manifestations régressives
    • échec scolaire
    • troubles du comportement
    • retard psychomoteur

    3.2. les signes cliniques

    • lésions cutanées : ecchymoses, hématomes, griffures, morsures, brûlures, alopécie, plaies et autres marques particulières
    • hypotrophie
    • signes cliniques de fractures
    • signes neurologiques
    Chacun de ces signes pris isolément n'est pas spécifique d'un cas de maltraitance, c'est la co-existence de plusieurs lésions qui est évocatrice.

    3.3. les circonstances du traumatisme

    Il faut être très attentif aux conditions de survenue de l'accident.
    · heure de survenue des accidents souvent beaucoup plus tardive, voire nocturne, lorsqu'il s'agit de traumatismes intentionnels
    · discordance entre les lésions et le traumatisme présumé les avoir causées
    · incohérence des explications fournies par les parents sur la survenue du traumatisme

    IV. PLACE ET INTERET DE L'IMAGERIE

    Silverman, radiologue et pédiatre américain, a décrit en 1953 les manifestations radiologiques des enfants maltraités, en insistant sur les lésions métaphysaires. Par abus de langage, on appelle " syndrome de Silverman ", le syndrome des enfants battus.
    Le rôle de l'imagerie se situe donc au premier plan quelques soient les circonstances de réalisation des actes radiologiques :
    · dans un contexte clinique évocateur : il y a suspicion de maltraitance ; le bilan radiologique permet de déterminer la nature des lésions ainsi que leur caractère accidentel ou non
    · découverte dans le cadre des urgences d'une lésion traumatique n'évoquant pas une nature accidentelle : dans ce cas, on complète le bilan pour apporter des arguments en faveur du diagnostic

    4.1. la radiographie conventionnelle

    Actuellement, dans notre centre de pédiatrie , il est prescrit des radiographies du squelette en totalité à tout enfant suspect de maltraitance. On recherche alors des lésions et des localisations spécifiques sur les radios réalisées.
    · le squelette périphérique
    Il est radiographié de face segment par segment, avec clichés de profil si nécessaire.
    Les atteintes ostéo-articulaires des membres sont les plus fréquentes. Elles sont le plus souvent multiples et, fait très caractéristique, d'âges différents (à des fractures récentes s'associent des fractures anciennes).
    - Fracture diaphysaire : les plus fréquentes et d'autant plus évocatrices que l'enfant est jeune et ne peut se déplacer (humérus, fémur, jambe). La visualisation d'un manchon sous-périosté signe la non-immobilisation d'une fracture ; l'hématome, issu des hémorragies sous-périostées, se calcifie du dehors en dedans et aboutit à un engainement diaphysaire plus ou moins épais.
    Chez l'enfant plus grand, ces fractures diaphysaires n'ont pas de caractère spécifique, mais leur association à d'autres lésions peuvent faire suspecter une maltraitance.
    - Fracture épiphyso-métaphysaire : arrachement en coin métaphysaire secondaire à des man½uvres d'étirement ou de torsion, très évocatrices de maltraitance. Elles touchent surtout les enfants de moins de 2 ans et se situent principalement au genou et au coude (image en anse de seau).

    manchon sous-périosté des 2 os de l'avant-bras
    fracture diaphysaire récente de l'humérus gauch
    fractures épiphyso-métaphysaires multiples des 2 membres inférieurs

    Le thorax

    Les atteintes costales sont fréquentes, elles représentent environ 25% des fractures. Elles touchent surtout les enfants de moins de 2 ans, siègent principalement au niveau des arcs postérieurs et des arcs moyens et sont dues à des mécanismes de compression latérale ou antéro-postérieure.
    A ces lésions osseuses peuvent s'associer des lésions de l'étage sus-diaphragmatique à type de pneumothorax ou contusion pulmonaire.
    fractures des 6, 7, 8, 9èmes cotes gauches
    fractures des cotes postérieures bilatérales

Le rachis

Toujours radiographié de face et de profil, le mécanisme le plus fréquent étant l'hyperflexion, le siège préférentiel des lésions est la charnière dorso-lombaire. Rares, elles se traduisent par un écrasement discal, signe le plus évocateur, ou par un tassement vertébral ou une luxation.

Le crâne

Les incidences de base sont la face et le profil, mais Worms et Blondeau sont réalisés si des lésions occipitales ou faciales sont suspectées. Les fractures de la voûte du crâne, unique ou multiples, sont fréquentes, en particulier dans la première année de vie (80%) et sont consécutives à un traumatisme direct.

Fracture pariétale droite récente et fracture pariétale gauche en voie de consolidation
Les 2 mêmes fractures visibles l'une au dessus de l'autre

4.2. le TDM

Son intérêt est majeur dans l'exploration cérébrale.
Il est pratiqué au moindre doute, ou devant un tableau neurologique, afin de mettre en évidence un hématome sous-dural (HSD) (Syndrome de Tardieu) ou une contusion cérébrale.
Rencontré surtout chez le petit, le HSD met en jeu le pronostic vital de l'enfant et est responsable de séquelles neurologiques.
Il peut exister des HSD d'âges différents, facilement mis en évidence par les différences de densité.
En dehors des traumatismes directs violents, il est dû à des accélérations-décélérations rapides de la tête, le cerveau percute ainsi sa boite crânienne ; c'est le cas des " enfants secoués ".
Le TDM sera aussi utilisé dans le contrôle évolutif de ces lésions.

Contusion frontale gauche associée à une HSA de la faux du cerveau
Le TDM est également contributif dans l'exploration de pathologie traumatique abdominale et thoracique. Les lésions viscérales restent cependant très rares et sont non spécifiques de traumatismes de maltraitance.

4.3. L'IRM

Pratiquée par certaines équipes, elle permet également de mettre en évidence un hématome sous-dural (HSD) ou une hémorragie sous-arachnoïdienne (HSA).

HSA récente de la faux du cerveau

4.4. La scintigraphie

Elle peut se justifier par sa sensibilité en particulier dans la mise en évidence de fractures de cotes, mais présente par contre des limites d'interprétation des lésions au niveau des régions métaphysaires.
Elle est utilisée en imagerie complémentaire en cas de doute diagnostique.

4.5. L'échographie

Elle sert principalement à topographier les lésions viscérales de l'étage sous-diaphragmatique qui représentent toutefois une faible part de la pathologie traumatique rencontrée chez les enfants maltraités. Il peut exister des lésions duodénales et jéjunales, sous forme d'hématomes intra-muraux, ou des contusions des organes pleins, ces différentes lésions sont rares et non spécifiques.

4.6. Les diagnostics différentiels

Avant d'évoquer un diagnostic de " traumatisme non accidentel ", il convient d'éliminer d'autres pathologies dont les signes radiologiques peuvent présenter des similitudes avec ceux d'une maltraitance.
C'est le cas par exemple :
· du scorbut , qui présente des hématomes sous-périostés mais qui ne se rencontre qu'après 6 mois
· des maladies d'ostéogénèse imparfaite comme la "maladie des os de verre "
· du syndrome de Menkes (anomalie du métabolisme du cuivre), qui présente des fragments métaphysaires bilatéraux
· de maladies hématologiques (hémophilie)

V. LE SIGNALEMENT

Son objectif essentiel est la protection de l'enfant.
L'enfant maltraité est victime d'une infraction, celle-ci est prévue par l'article 309 (protégeant toutes victimes) et par l'article 312 annexe II du code pénal (spécifique aux victimes de moins de 15 ans).
Par conséquent, tout citoyen a des obligations :
1. toute personne doit informer la justice de faits de violence à enfant dont il a eu connaissance (article 62, alinéa 2 du code pénal).
Les personnes astreintes au secret professionnel peuvent le faire sans encourir de sanction.
(article 378, alinéa 2)
2. tout citoyen a le devoir de porter secours à un mineur en situation de péril soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours (article 63 du code pénal, la non assistance à personne en danger est répréhensible).
Signaler est une décision difficile à prendre, le signalant doit surmonter différentes craintes :
· celle de se tromper
· celle de se mêler des affaires d'autrui
· celle de " marquer socialement " une famille
· celle de se retrouver mêlé à la justice
Ou signaler
Il existe 3 structures de recueillement de signalements :
· le conseil général, par l'intermédiaire des structures sociales qui en dépendent (DPAS , PMI, ASE)
· les services judiciaires (police, gendarmerie, juge des enfants)
· les organismes de protection de l'enfance ; la plus connue est " Allô enfance maltraitée ", numéro vert 119 géré par le SNATEM, mais il en existe d'autres (enfance et partage, la voix de l'enfant...).

Les mesures prises

La priorité est la protection et le bien-être de l'enfant.
L'hospitalisation peut être considérée comme mesure de protection de l'enfant maltraité. Le temps d'hospitalisation permettra :
· d'abord de soustraire l'enfant aux sévices
· de faire pratiquer les examens nécessaires à l'établissement du diagnostic
· de procéder au signalement et de déclencher l'enquête
· de traiter les lésions.
Les mesures prises par la suite sont de 2 types :
· administratives :
ce sont les services de protection de l'enfance qui assurent la protection sociale de l'enfant en proposant des aides financières, des aides éducatives (AEMO) ou un placement. Ces mesures sont toujours prises en accord avec les parents.
· judiciaires :
elles sont prises en cas de danger grave ou de conflit avec les parents.
Elles concernent :
- la protection de l'enfant
- la poursuite pénale du maltraitant. Selon la gravité des faits, contravention, délit ou crime, les peines seront une amende, une mise sous tutelle, un emprisonnement ou (ou /et) la déchéance des droits parentaux.
(en Indre et Loire, en 1993 par exemple, 809 signalements, 184 faits établis, 4 incarcérations)
Dans la pratique, il faut savoir que la juridiction se veut plus éducative que répressive, que la solution la moins traumatisante pour l'enfant sera recherchée. La tendance actuelle est à rétablir, maintenir, consolider la cohésion familiale autant que faire se peut.

VII. CONCLUSION

Même si elle déclenche des sentiments de colère et d'indignation, la maltraitance des enfants reste un problème important dans notre société civilisée, souvent sous-estimé. C'est une infraction au code pénal qu'il faut donc savoir dénoncer.
L'imagerie médicale joue un rôle important dans le diagnostic de maltraitance puisqu'elle permet dans un certain nombre de cas d'établir avec certitude qu'il y a eu violences sur l'enfant.

LEXIQUE

A.E.M.O.: Aide Educative en Milieu Ouvert
A.S.E.: Aide Sociale à l'Enfance
D.P.A.S.: Direction de la Prévention et de l'Action Sociale
O.D.A.S.: Observatoire de l'Action Sociale Décentralisée
P.M.I.: Protection Maternelle Infantile
S.N.A.T.E.M. : Service National d'Accueil Téléphonique pour l'Enfance Maltraitée

BIBLIOGRAPHIE

MANCIAUX (M.), STRAUSS (P.), 1993, L'enfant maltraité, Paris, Editions Fleurus, 696 pages
DOUET (M), ROUYER (M), 1994, L'enfant violenté, Paris, Païdos/le Centurion, 262 pages
BAYLE (O), FAURE (F.), PADOVANI (J), PANUEL (M), 1996, Le traumatisme de l'enfant, Paris, Edition Vigot, 162 pages
Imagerie des urgences, JFR Paris 2000, SFR, Chapitre 4, Traumatologie ostéo-articulaires de l'enfant : ce que doit connaître le radiologue, D. SIRINELLI Observatoire national de l'enfance en danger, lettre trimestrielle publiée par l'ODAS, Septembre 1999

Haut de page