Il
reçut le prix Nobel de physique en 1901.
Il mourut 1923. La découverte des rayons X ouvra la
voie à la radiologie.
Une
merveilleuse découverte
Tard
un après-midi de novembre 1895, le physicien allemand Wilhelm
Conrad Roentgen travaille seul, selon son habitude, dans son
laboratoire de l’institut de physique de l’Université de Würzburg
(Bavière), dont il est le directeur depuis le 31 août 1888. Comme
la plupart des physiciens de son époque, il s’intéresse aux
rayons cathodiques et au phénomène de la luminescence. Il veut répéter
l’expérience d’un de ses collègues de Bonn, Philipp Lenard: étudier
sur un écran de carton enduit de platino-cyanure de barium
l’effet fluorescent des rayons cathodiques produits dans un tube
de Crookes. Pour ne pas être gêné par la lumière engendrée à
l’intérieur du tube, il prend tout d’abord soin d’envelopper
ce dernier dans du carton opaque. Puis il connecte le tube de
Crookes à une bobine de Ruhmkoff afin de le mettre sous tension électrique.
Enfin, il fait l’obscurité dans son laboratoire. A sa grande
satisfaction, aucune lumière ne passe au travers de l’enveloppe
opaque. Cependant, alors qu’il se prépare à déconnecter le tube
de Crookes de la bobine de Ruhmkoff afin de fixer l’écran
fluorescent en face du tube pour procéder à l’expérience décisive,
il distingue un scintillement discret dans un coin de son
laboratoire encore plongé dans le noir. Il constate qu’il
provient de l’écran fluorescent abandonné provisoirement sur un
banc avant de prendre sa place dans l’expérience en cours.
Intrigué, Roentgen éteint son tube de Crookes, le scintillement
disparaît de l’écran. Il rallume son tube, l’écran s’éclaire
aussitôt. Roentgen augmente la distance entre l’écran et le tube
de Crookes, il retourne même l’écran de sorte que l’émulsion
fluorescente se trouve du mauvais côté par rapport au tube. Chaque
fois que le tube de Crookes est sous tension, l’écran
s’illumine. C’est alors que Roentgen a le trait de génie de
penser que la fluorescence provoquée n’est pas la conséquence
directe des rayons cathodiques, qui en principe ne se propagent pas
en dehors du tube de verre, mais le fait d’un autre rayonnement, généré
secondairement par ces rayons cathodiques. Si ce rayonnement
traverse le carton opaque, peut-être traverse-t-il d’autres
substances. Roentgen met sa main entre la plaque et l’écran. Ce
sont ses os qui apparaissent !
Roentgen
comprend alors qu’il a découvert un rayonnement non lumineux,
invisible, capable de traverser la matière plus ou moins bien selon
la densité de celle-ci. C’est un rayonnement encore inconnu. Il
l’appelle donc « rayons X ».
Roentgen
est d’emblée conscient de l’importance de sa découverte. Après
sept semaines d’un travail intensif, il remet un manuscrit,
intitulé « Über eine neue Art von Strahlen », le 28 décembre
1895, au secrétaire de la « Physikalisch-medicinische
Gesellschaft » de Würzburg. Il obtient très rapidement les
épreuves qu’il envoie à quelques-uns de ses amis en guise de vœux
de Nouvel An !
L’un
de ceux-ci, professeur de physique à Vienne, montre le manuscrit et
les radiographies qui l’accompagnent à un collègue, dont le père
est l’éditeur du journal viennois « Die Presse ». Ce
dernier, réalisant la valeur de cette découverte et son intérêt
pour les biologistes et les médecins, principalement les
chirurgiens, écrivit immédiatement un article, qui paraît le 5
janvier 1896. Dans sa précipitation, il nomme l’inventeur le
« Professor Routgen ».
La
nouvelle de la découverte se propage très rapidement. En Suisse,
elle est annoncée en premier par « Die Neue Zürcher Zeitung »
le 10 janvier. En Suisse Romande, c’est le journal illustré «La
Patrie Suisse » dans son supplément du 22 janvier qui publie
les observations de Roentgen et reproduit l’image d’une main
vivante avec comme titre « une merveilleuse découverte ».
Le cliché, daté du 13 janvier, a été pris par Aimé Forster,
professeur de physique à l’Université de Berne. Les professeurs
Henri Dufour à Lausanne et Charles Soret à Genève saisissent
l’intérêt du procédé et l’appliquent d’emblée (premier
cliché le 27 janvier à Lausanne et avant le 4 février à Genève)
(Béclère, 1973 ; Eisenberg, 1992 ; Mayer, 1995 ;
Pallardy et al., 1989 ; Rosenbusch et al, 1994 ; Rosselet,
1995 ; Schedel et Keil, 1995 ; Terrier et al, 1995 ;
Wieser et al, 1989).
Une
vie exemplaire
Roentgen
est né le 27 mars 1845 à Lennep, petite localité allemande,
devenue maintenant un faubourg de la ville de Remscheid, près de Düsseldorf
en Rhénanie. Il restera le fils unique de sa mère, Charlotte
Constanze, née Frowein, d’origine hollandaise, et de son père,
Friedrich-Conrad, fabricant aisé de tissus et de vêtements.
Peu après sa naissance, ses parents émigrent à Apeldoorn, près
d’Utrecht, pour des raisons politiques, semble-t-il. C’est donc
en Hollande qu’il grandira et à Utrecht qu’il entrera au
gymnase. En cours d’études, un incident apparemment banal, mais
lourd de conséquences, va influencer son avenir. Il est suspecté
d’avoir dessiné au tableau noir la caricature d’un de ses
professeurs. Etait-ce lui ou un de ses camarades, qu’il n’a pas
voulu dénoncer, on ne l’a jamais véritablement su. On ne
badinait pas à l’époque avec le respect de ses supérieurs.
Conrad est chassé de l’école, juste avant l’examen de maturité.
Heureusement, un ami suisse des Roentgen, habitant Lutrecht, leur
apprend qu’il existe en Suisse l’Ecole Polytechnique de Zurich,
qui vient d’être fondée, où l’on peut être admis sans
maturité. Il faut toutefois réussir un examen d’entrée assez
difficile. Le jeune homme suit des cours privés, se présente à
l’examen et le réussit. Dès
novembre 1865, Roentgen est donc étudiant à Zurich et loge dans
une maison qu’on peut voir encore aujourd’hui « Im
Seilergraben 48 ». Il s’arrête régulièrement dans une
brasserie, « Zum Grünen Glas », proche de l’Ecole
Polytechnique, où se rencontrent maîtres et étudiants. Il y fait
la connaissance de la fille du patron, Anna-Bertha Ludwig, de 6 ans
son aînée, qu’il épousera plus tard, en 1872, et qui sera sa
femme pendant 50 ans. Mais Roentgen ne fréquente pas seulement sa
Zurichoise. Il suit aussi les cours avec sérieux et obtient en 1868
son diplôme d’ingénieur mécanicien. Mieux, il est promu, une
année plus tard, docteur es sciences de l’Université grâce à
une thèse intitulée «Studien über Gase». C’est alors que le
professeur de physique expérimentale, August Kundt, l’engage
comme assistant.
En
1870, le professeur Kundt est appelé à la chaire de physique de
l’Université de Würzburg. Il demande à son élève de
l’accompagner avec l’espoir partagé de lui assurer une carrière
académique. Une profonde déception attend toutefois Roentgen. Un
handicap pèse sur son destin. Il n’a pas de diplôme de maturité.
Le corps professoral de Würzburg lui refuse à l’unanimité le
titre de privat-docent, conformément à la loi bavaroise qui
n’accorde pas cette promotion à un ingénieur qui n’a pas
acquis une formation gymnasiale.
Roentgen
quitte alors Würzburg pour Strasbourg, université plus tolérante
et où il est nommé professeur de physique. Ses travaux et sa
renommée grandissante lui valent ensuite une nomination à l’Université
de Giessen, en Allemagne. Enfin, un étonnant repentir pousse l’Université
de Würzburg à le rappeler et à lui confier la chaire de physique
et la direction de l’Institut de physique. C’est là que le 28
novembre 1895 il découvre les rayons X.
Durant
la première semaine après la découverte, Roentgen reçoit plus de
1000 lettres. Plusieurs personnes ne manquent pas de lui suggérer
qu’il pourrait devenir très riche en exploitant commercialement
son invention. Quelque temps plus tard, Max Levy, un ingénieur de
la firme électrique A.E.G., prend contact avec Roentgen pour lui
faire part de l’intérêt manifesté par sa compagnie à développer
cette nouvelle technologie. Roentgen lui répond sans hésitation :
« Dans la bonne tradition des professeurs d’université
allemands, je suis d’avis que les découvertes et inventions
appartiennent à l’humanité. Leur diffusion ne doit en aucun cas
être entravée par des brevets, des licences ou des contrats et
aucun groupe de personnes ne doit en avoir le monopole. »
En
1900, Roentgen accepte de devenir professeur de physique à l’Université
de Munich et directeur du nouvel institut
de physique. En 1901, il reçoit le premier prix Nobel de physique.
Pour se reposer, loin des honneurs, il passe régulièrement ses
congés en Suisse, à Pontresina. Il y retrouve de nombreux amis.
Les époux Roentgen apprécient particulièrement les tours en calèche
et se lient d’amitié avec le cocher Emanuel Schmid, de Somvix
dans les Grisons, qui à plusieurs reprises, est leur compagnon de
randonnée.Mais après ces succès et ces joies arrivent les jours
sombres. En 1918, l’Allemagne perd la première guerre mondiale.
Patriote, il est profondément touché par cette défaite. Il est très
affecté par la perte de l’Alsace, à laquelle il était attaché
depuis son séjour à Strasbourg. Une année plus tard, en 1919, il
ressent cruellement le décès de son épouse, qui s’éteint après
une longue maladie causée par des calculs rénaux. En outre, il est
ruiné par l’inflation catastrophique qui frappe l’Allemagne de
l’après-guerre. Atteint dans sa santé par un cancer du côlon,
il meurt à Munich le 10 février 1923, à l’âge de 78 ans (Eisenberg,
1992; Pallardy et al, 1989 ; Rosenbusch et al, 1994 ;
Schedel et Keil, 1995 ; Wieser et al, 1989).
La
Fée Electricité
La
découverte des rayons X fut l’aboutissement de siècles
d’observations et d’expériences sur l’électricité et le
magnétisme, sur lesquelles nous ne pouvons pas nous attarder ici.
Mentionnons cependant que pour son expérience, Roentgen utilisa un
tube de Crookes et une bobine de Ruhmkorff.
Sir
William Crookes (1832-1919) était un brillant physicien anglais,
qui adorait faire des démonstrations en public. Il était fasciné
par l’hypothèse que Michael Faraday (1791-1867) avait formulée
quelques années auparavant, à savoir que la luminosité d’un gaz
fortement raréfié et excité par une décharge électrique représentait
un quatrième état de la matière, la matière radiante
(à côté des trois autres états solide, liquide et gazeux). Pour
étudier les rayons cathodiques et les phénomènes produits par le
passage de l’électricité dans les gaz, il avait perfectionné un
appareil inventé en 1869 à Münster, en Allemagne, par Johann
Wilhelm Hittorf (1824-1914) : il s’agit d’un tube en verre
muni à ses deux extrémités d’électrodes. Lorsqu’on applique
une forte tension électrique à ces dernières et qu’on évacue
l’air dans le tube, une couleur violacée apparaît. Ce phénomène
est dû à un arc électrique. Crookes avait émis l’hypothèse
que les rayons cathodiques étaient constitués de particules,
hypothèse confirmée en 1897 par Sir Joseph Thomson (1856-1940), de
Cambridge, qui démontra que les rayons cathodiques étaient formés
de particules négatives, à savoir d’électrons. Le passage de
l’électricité dans les gaz raréfiés n’a généralement lieu
qu’avec des différences de potentiel de plusieurs centaines de
volts au moins, et très souvent il faut atteindre 40 000 à 50 000
volts. Pour obtenir une telle tension, on utilisait le principe de
l’induction électromagnétique découvert par Michael Faraday.
Les premières bobines basées sur ce principe furent construites à
partir de 1851 par un mécanicien et électricien allemand fixé à
Paris, Heinrich Daniel Ruhmkorff (1803-1877). A l’époque de
Roentgen, de nombreux physiciens étudiaient les propriétés des
tubes de Crookes, qui étaient disponibles dans la plupart des
laboratoires de physique depuis une vingtaine d’années. On peut
s’étonner qu’aucun des nombreux chercheurs qui expérimentaient
avec ces tubes n’aient découvert plus tôt le rayonnement
qu’ils généraient. Déjà Crookes avait constaté que des
plaques photographiques emballées entreposées dans son laboratoire
avaient été voilées de manière étrange. Il se plaignit au
manufacturier Ilford, qui lui avait fourni ces plaques et qui les
lui remplaça. Lorsque ce même phénomène se répéta, Ilford
conclut que le problème devait provenir du laboratoire du
physicien. Crookes n’élucida pas la cause, mais il apparaît
probable aujourd’hui que ces plaques ont été impressionnées par
des rayons X. La découverte des rayons X était donc dans l’air
depuis plusieurs années. Une controverse affligeante résulta
d’ailleurs à propos de la paternité de la découverte, qui fut
revendiquée par Philipp Lenard (1862-1947), même après qu’il
eut également reçu le prix Nobel de physique en 1905. Il ne fait
plus aucun doute aujourd’hui que la découverte de Roentgen n’était
pas due à la chance, mais à sa profonde connaissance des données
de la littérature en physique de son temps, à son génie d’expérimentateur
et d’observateur ainsi qu’à sa remarquable faculté de
raisonnement (Eisenberg, 1992 ; Schedel et Keil, 1995 ;
Wieser et al, 1989).
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