Il y a quelques semaines, un conchyliologue d'Aubagne (Bouches-du-Rhône), M. Doërr , avait les honneurs de la télévision de Marseille-Provence Possédant l'une des plus belles collections de Coquillages actuelles, il dévoilait au public, sur des présentoirs tournants, un échantillonnage des joyaux que la nature se plaît à multiplier au sein des océans.
Peu après, ce spécialiste venait à Thoard pour me confier un choix de ses trésors. Dois-je avouer que j'ai manipulé avec respect ces pièces très rares, belles et intactes, dont il n'existe que quelques exemplaires dans le monde entier ? Le partage des négatoscopes, au congrès de Lyon, a fortement amputé l'exposition de "La nature vue aux rayons X" et privé nos collègues et les visiteurs de l'interprétation radiologique obtenue au cours de ces journées de travail.
Nous vous soumettons aujourd'hui, comme modèle, la radiographie d'un Mollusque extraordinaire, véritable pièce de musée, Xenophora pallidula Ce Coquillage, dont le bord des tours de spire est finement dentelé, a la curieuse habitude de collectionner les coquilles vides qu'il rencontre. Il les saisit et les encastre sur la face externe de son propre test, au fur et à mesure de sa croissance. Ces corps étrangers font ainsi bloc avec lui. Parfois, il se contente de pierres ou de débris de corail, mais reste fidèle à une matière donnée. Il semble donc opérer un choix dans sa quête et le but atteint est une petite œuvre d'art. Bien entendu, pour l'animal il ne s'agit pas de recherche esthétique, mais d'une tentative de camouflage, car il disparaît sous un dallage de cailloux ou sous un amoncellement de coquilles mortes, échappant ainsi à ses ennemis éventuels. On cite un Xenophora, recueilli lors d'une campagne océanographique, qui avait décoré sa spire exclusivement avec de longues coquilles pointues, genre Terebra, disposées comme les rayons d'une roue.
Le second Coquillage proposé (page éditorial) est remarquable, lui aussi, dans un genre bien différent. De forme globuleuse, avec un dernier grand tour de spire à large ouverture, il présente une ornementation faite de cordons spirales et de callosités de l'axe central. On ne peut qu'admirer l'écho tourbillonnaire qu'offre cette coquille radiographiée, avec l'apparence de trois entonnoirs harmonieusement emboîtés.
L'une ou l'autre des 140000 espèces de Mollusques existant actuellement se retrouve dans les régions les plus variées du globe; près de nous à plus de 5000 m d'altitude sur les pentes de l'Hymalaya
ou, au contraire, entre 4 000 et 5 000 m de profondeur, dans les sédiments de la mer, où elle supporte la pression énorme de 500 kg par
cm2.
Même les déserts sont habités par quelques Escargots particulièrement résistants à la chaleur et à la sécheresse extrêmes.
Dans cette multitude, la classe la plus importante pour nous, au point de vue radiologique, est celle des Gastéropodes, portant une coquille univalve spiralée ; elle est d'ailleurs la plus importante de embranchement. On peut évaluer grossièrement le nombre des espèces qu'elle renferme à 50.000 environ, estimation toujours fluctuante, car on en découvre sans cesse de nouvelles, ou des variétés qui compliquent et enrichissent la classification. Ainsi, nul ne peut se vanter d'avoir chez lui la totalité des individus catalogués.
Les pierres qui sont à la base de la construction des coquilles sont faites de matières minérales que le Mollusque extrait de l'eau de mer, dont la principale est le carbonate de calcium cristallisé en rhomboèdres, d'aragonite cristallisée en cubes et d'une sorte de mortier biologique, substance élaborée par l'animal, la conchioline ; c'est une matière protéique, voisine de la kératine dont sont formés les ongles, les cornes et les poils des Mammifères. A titre indicatif, les dimensions des cristaux de calcite varient entre 0,3 et 2,3 microns (1 micron = 1/1 000 de mm) ; ceux de la conchioline n'ont que 0,5 micron de diamètre.
D'un bout à l'autre de la croissance, le plan initial est respecté et le rapport des proportions reste constant : inclinaison de la spire par rapport a l'axe, ou angle que forme la tangente périphérique avec le rayon. Une illustration frappante de cette théorie est donnée par la coupe du Nautile — non cette fois par un Gastéropode, mais un Céphalopode — qui reste l'exemple classique et démonstratif d'une construction parfaite, dont la beauté esthétique est sans équivalent dans le monde animal.
On aimerait montrer de nombreux spécimens de ces infinités de voûtes, d'arches, d'escaliers, de portiques d'une si riche et merveilleuse architecture, de ces créations débordant de fantaisie et d'originalité mais qui, on l'a vu plus haut, sont régis par des lois mathématiques rigoureuses.
Signalons, pour les collègues de la région parisienne, l'exposition organisée présentement au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, sous le titre "Coquilles et Coquillages", ouverte jusqu'au 30 septembre 1975. Cette visite sera un enchantement pour tous, et, peut-être, le point de départ de vocations de collectionneurs.
Que dire des couleurs des coquillages ? Cela ne se décrit pas, il faut les voir. Disons seulement que beaucoup d'entre eux sont blancs, grisâtres, rosés, sans rien qui retienne l'attention. En revanche, d'autres sont décorés de dessins, de teintes d'une infinie diversité, extrêmement fins ou compliqués, allant des tons pastels très doux aux plus vives colorations. Ainsi sont, par exemple, les Cônes, les Strombes, les Ptérocères, certains Murex tropicaux, les Porcelaines et tant d'autres...
Nous avons déjà, à plusieurs reprises, parlé d'autotomie (mutilation volontaire ou réflexe d'une partie du corps). Plusieurs Mollusques la pratiquent. Parmi eux, citons les Harpes, qui sectionnent la zone postérieure de leur pied à l'aide du bord tranchant de la coquille, quand ils sont attaqués. Les Couteaux font de même, abandonnant aussi l'extrémité de leurs siphons. Comme chez l'Etoile de mer, les chairs détruites se régénèrent et l'animal retrouve sa forme primitive.
Autre moyen de défense : le camouflage. Ovula ovum , Mollusque voisin des Porcelaines — qui donne une si jolie radiographie — masque sa coquille d'une blancheur éclatante sous un manteau noir et grumeleux. Les Murex et, spécialement ceux qui vivent parmi les Coraux, sont armés de collerettes, de délicates et longues épines, d'excroissances arborescentes simulant les rameaux des polypiers environnants.
Second type de mimétisme: les Céphalopodes, par le jeu de leurs chromatophores, petits sacs
élastiques et transparents, contenant différents pigments et mus individuellement, peuvent changer de livrée à tout moment, mieux que le Caméléon. Naturellement, ce n'est pas la coquille qui se modifie, mais uniquement les téguments. Ces animaux, rappelons-le, disposent d'une défense originale supplémentaire Tous, sauf le Nautile, sont capables de répandre autour d'eux un épais nuage d'encre ; profitant de la confusion ainsi provoquée chez leurs poursuivants, ils ne tardent pas à prendre le large.
Il existe des Mollusques qui préfèrent la fuite, s'éloignent par bonds en zig-zag ou s'enfoncent dans le sable avec une rapidité déconcertante.
Enfin, un certain nombre sécrètent, quand ils sont inquiétés, un liquide coloré, d'un effet répulsif sur les prédateurs.
Dans un domaine voisin, on peut rappeler la grande industrie de la pourpre, qui fit la richesse des habitants de Tyr, très ancien port phénicien. Cette substance tinctoriale, élaborée par les Murex — en particulier Murex brandaris et Murex purpura — était obtenue en concassant coquilles et Mollusques, en faisant bouillir le tout, puis en filtrant lentement le liquide qui prenait peu à peu diverses nuances pour aboutir à une teinture allant du magenta à l'écarlate et au rouge sang, selon l'espèce de Murex utilisée et aussi d'après la technique mise en œuvre. Avec elle, on teignait laine, soie ou lin et la couleur était pratiquement inaltérable.
Peut-on ajouter encore que les Coquillages ont exercé une véritable fascination sur l'homme depuis les temps les plus reculés ? On en a trouvé dans des tombes datant de 15.000 ans, ornant des édifices religieux ou profanes. Tour à tour nourriture, monnaie, instruments de musique, objets de culte, matière première de bijouterie, parure, puis, assez récemment, base de collections, ils laissent peu de nos semblables indifférents. Pour l'usager des rayons X, les plus intéressants, ceux qui donnent les meilleurs clichés ne sont pas forcément les plus rares ni les plus coûteux. Mais pourquoi ne pas réserver, chez soi, une place privilégiée pour deux ou trois exemplaires bien choisis, uniquement dans le but de contempler, à loisir, un peu de beauté pure, dans le silence de la méditation ?
René ABGRALL
Article tiré de la revue "le Manipulateur d'Electo-Radiologie
Médicale" n° 37 de juin 1975
Editorial de la revue
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Rapa papyracée
Ce joli Mollusque vit dans les coraux mous (région Indo-Pacifique). Noter le fin réseau treillissé de la coquille et les trois sortes d'entonnoirs concentriques gracieusement emboîtés. Voir aussi le long canal siphonal à la partie inférieure de la coquille. |
Ouvrages consultés
ANGELETTI Sergio : " Les Coquillages " , Grange Batelière.
BURTON M. et R. : " Le Royaume des Animaux " , Edito Service, Genève.
GANTES R.T.F. : " Les Coquillages " , Marabout Service.
LOZET J.B. : " Coquillages " in " La Mer " , Grange Batelière.
LOZET J.B. : " Opuscule de documentation sur les Coquillages " », Le Peigne de Vénus.
TUCKER-ABBOTT R. : " Les Coquillages " , Saghers.
TUCKER-ABBOTT R. : " Coquillages " , Le Petit Guide.
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