Les Monstres

Les Monstres

Couverture Revue n° 12

Chaton mort-né

Unité manquée, duplicité incomplètement réalisée.

Ce petit chat Déradelphe est un exemple caractéristique de monstre double monocéphalien Lambdoide ou en Y renversé (Classe des Tératadelphes sycéphaliens). La tête est entièrement simple et la duplicité ne se manifeste qu'au-dessous d'elle, au niveau de l'atlas. Les composants de l'animal sont soudés par les régions crâniales du corps, mais parfaitement distincts dans leurs parties caudales.
Les Déradelphes possèdent un thorax biparti et symétrique. Les quatre membres thoraciques sont bien visibles sur le cliché. Il en est de même des parties supérieures de l'abdomen jusqu'à la région ombilicale. (Commentaire de M. le Pr. BARONE - Lyon.)
La pièce présentée ici a été en partie mutilée par le propriétaire de la chatte, au cours d'une mise bas laborieuse, mais sauvée in extremis de la destruction par mon collègue Roner CARDINE.

Au fond de lui-même, l'homme est sensible à i'harmonie des formes, à l'équilibre des proportions, à un certain canon de la beauté, variable d'ailleurs selon les pays, les races ou les époques, selon les étapes de sa civilisation. Toute création qui s'éloigne de ces règles provoque en lui, outre de l'étonnement, un sentiment de malaise, d'inquiétude ; il a conscience d'un désordre apparent ou réel et cherche à en comprendre l'origine.

La variété des anomalies qui peuvent toucher les êtres vivants est, sinon illimitée, du moins considérable. Il n'est que de parcourir l'important Traité de radiodiagnostic de Schinz, dont le premier tome est réservé, en majeure partie, à leur description détaillée ; l'étude de ces pages pourrait faire douter de la perfection tant proclamée de la nature. Mais rien n'est plus simple en biologie et il faut se garder de juger hâtivement.
Les sujets qui apportent une note discordante dans une foule prétendue normale, étaient jadis exhibés, moyennant finance (monstre = ce que l'on montre) devant les badauds avides de sensationnel. Pendant des siècles, la source de leurs infirmités fut attribuée aux démons ou a des représentations mentales purement chimériques, imaginées par la mère lors de la conception. Le célèbre Ambroise PARE, cependant novateur en médecine et en chirurgie, répétait, dans son ouvrage "Monstres et prodiges" publié vers 1575, les hypothèses hasardeuses de ses contemporains. Il fallut attendre le XIXème siècle pour que la Tératologie ou science des monstres prenne naissance avec les travaux d'Estienne Geoffroy Saint-Hilaire et de son fils Isidore. A l'origine branche indépendante de la connaissance, elle est maintenant devenue l'une des subdivisions de l'Embryologie générale. De même que l'étude des déviations mentales a permis de mieux cerner la psychologie des individus normaux, la recherche poussée des formes physiques apparemment aberrantes, des irrégularités dans la morphologie humaine et animale, a fait progresser notre savoir dans les domaines les plus importants de la biologie : hérédité, génétique, physiologie, biochimie...
Les multiples expériences génétiques, dont nous dirons quelques mots plus loin, menés patiemment par les spécialistes dépistant, avec une finesse de plus en plus subtile, les facteurs de désordres organiques, ont précisé et parfois rectifié les notions concernant le développement régulier de l'être vivant à sa phase embryonnaire.
Faut-il rappeler que toutes les anomalies prennent naissance à l'un des stades très primitifs du développement de l'œuf ? Schématiquement, l'on obtient, selon la "date" d'action de l'agent perturbateur et son intensité, des malformations intéressant un organe ou les tissus de celui-ci, ou des monstruosités (dérèglement de la croissance externe du corps par insuffisance de développement, par excès ou apparition d'une structure anormale). Bien entendu, n'importe quelle partie du corps peut être atteinte.
«Chez l'homme, d'après des statistiques reproduites par E. WOLFF, sur 100.000 nouveaux-nés, il y aurait environ 61 monstres simples et deux monstres doubles. A ceux-ci, il conviendrait d'ajouter, selon les conceptions du même savant, 225 jumeaux vrais, qui représentent le cas extrême des monstres doubles. Les malformations mineures frapperaient 454 nouveaux-nés sur 100.000. Quant aux simples anomalies, il est bien impossible d'en dresser une statistique. Chez les animaux domestiques, le record de naissances monstrueuses appartient à l'espèce bovine. Viennent ensuite dans l'ordre : le Mouton, le Porc, le Chien, le Chat, le Cheval. Parmi les autres espèces, de nombreux insectes monstrueux ont fait l'objet d'observations détaillées. Les Reptiles et les Batraciens ont fourni un matériel très riche, non seulement pour l'observation, mais aussi pour l'expérimentation. Les monstres, écrit Etienne WOLFF, si étranges soient-ils, n'ont pas l'aspect horrible et repoussant qu'on leur attribue souvent. Ils ne donnent pas toujours cette impression de laideur qui est généralement due à une grande dissymétrie ou à une difformité. Un être "malformé" n'est pas forcément "informe" ou "difforme". Beaucoup de monstres sont tout à fait symétriques, ils donnent l'impression d'un organisme "entier" et cohérent aux formes régulières. Ils sont seulement "autres" que ce que l'on a accoutumé devoir, comme s'ils étaient bâtis suivant un autre plan. Ils n'ont rien d'une construction anarchique, ils ne paraissent pas des "ratés". On ne saurait leur refuser une certaine harmonie, un "certain" fini, comme à tout ce que la nature construit de cohérent et de bien proportionné. (Michel ROUZE)
« C'est là, évidemment, l'opinion du spécialiste. Ce qu'il faut surtout retenir, c'est que « contrairement à ce que pourrait supposer le profane, la monstruosité ne résulte pas d'un développement anarchique de l'organisme, de l'affranchissement de toute loi ; elle obéit au contraire à des lois que vérifie la Tératologie expérimentale (M.R.).»
Pour produire artificiellement des monstres, diverses sources perturbatrices ont été utilisées, toutes étant appliquées aux cellules germinatives, spécialement au niveau des ébauches destinées à, fournir, en se différenciant, les diverses parties de l'organisme.
- Introduction dans l'embryon ou dans l'organisme de la mère, de substances chimiques variées.
- Microchirurgie.
- Irradiation localisée aux rayons X, aux U.V.
- Secouage, exposition au froid ou à la chaleur, privation d'oxygène, etc.
Voulez-vous quelques exemples ?
En procèdent à des expériences sur un Poisson (Fundulus heteroclitus), plongé dans une eau contenant une proportion excessive de chlorure de magnésium, STOCKARD a relevé une énorme quantité (plus de 50 ) d'embryons devenus cycloples. Chez le même Poisson et également chez la Truite, la privation d'oxygène détermine le développement de monstres doubles.
Les Poules, alimentées avec des grains de blé contenant du sélénium - corps simple qui peut se trouver dans le sol - donnent naissance à des poussins porteurs de malformations du bec et des pattes.
La Colchicine (alcaloïde extrait des graines de colchiques des prés), injectée à dose homéopathique au niveau choisi de l'embryon, provoque, soit la réunion dans un même étui cutané des deux membres inférieurs (symélie), soit la formation d'embryons sans tête.
L'action de certains autres alcaloïdes, des sulfamides, de divers produits chimiques, aboutit à des poussins à bec croisé, à des volatiles sans queue...
Une colonie d'Abeilles, soumise à un écart de température de 10° en plus ou en moins de son optimum (35-36°), fournira un certain pourcentage de non-valeurs : sujets dissymétriques, incomplets, sans ailes, cyclopes, albinos, qui sont rejetés hors de la ruche.
Les hormones elles-mêmes, les vitamines, la déficience en calcium, sont capables, à une certaine dose, de déterminer des monstruosités.
Le Pr. GIROUD, au Laboratoire d'embryologie de la Faculté de médecine de Paris, a établi une liste des substances pouvant avoir un effet tératogène sur l'embryon humain : mercure, phosphore, sulfure de carbone, morphine, tabac, tous causes d'avortement. La quinine à haute dose, le plomb, les agents physiques (radium, rayons X à doses critiques) certains antibiotiques créateurs de carences en vitamines, peuvent provoquer l'apparition de malformations. On parle aussi d'anticorps, de virus tératogènes (pensons à la rubéole), vaste champ de recherches pour le tératologiste.
Pour en terminer avec notre petit Chat, rappelons que, dans la nature, les individus "défectueux" ne survient pas. Leur élimination joue dans le sens de la sélection et de l'équilibre des espèces. Ainsi, nous revenons à cette notion d'harmonie qui, malgré des fluctuations accidentelles est, en définitive, la grande loi de la création.

Monsieur le Dr Vétérinaire CANNEPIN, ancien Directeur des Services Vétérinaires de l'Isère et Monsieur le Pr R. BARONE (Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon) ont accepté, avec infiniment de bonne grâce, de mettre leur science au service de nos lecteurs. Nous leur exprimons ici toute notre reconnaissance.

René ABGRALL
Article tiré de la revue "le Manipulateur d'Electo-Radiologie Médicale" n° 12 d'avril 1969

Editorial de la revue

Fongia

Originaires des Iles Philippines, les Fongies sont des Madrépores solitaires, l'un des constituants des récifs de corail, ressemblant à un chapeau de champignon disposé sens dessus-dessous (Fungia = champignon).
Le squelette élémentaire, d'un blanc pur, sécrété par ce Madrépore, est formé de cloisons calcaires verticales, rayonnant à partir du centre, et d'une tige axiale ou columelle qui le fixe au sol dans sa forme jeune. Sous le poids du <• calice » devenu adulte, ce fin pédoncule se brise et la Fongie tombe sur le terrain. Jusqu'à une date récente, ces hôtes si décoratifs des récifs coraliens étaient considérés comme dénués de mouvement propre. Or, une observation de Madame CATALA-STUCKI au Centre de biologie marine de Nouméa (Nouvelle Calédonie) dément cette notion qui paraissait acquise : Les Fongies, une fois libérées de leur columelle, se déplacent visiblement sur le sable de l'aquarium qui leur est réservé.

(Dr René CATALA - « Carnaval sous la mer ».)


Ouvrages consultés

Bulletin radiographique GEVAERT - 7/1963;
Duhamel
, Haegel-Pagès, « Morphogenèse pathologique » Masson 1960 ;
Nicolle Jacques
« La Symétrie » P.U.F. 1957 ;
Paré Ambroise
« Animaux, monstres et prodiges » Le Club français du Livre, 1954 ;
Rostand et Tétry
« La Vie », Larousse 1962 ;
Rouzé Michel
« Monstres de Laboratoire » Diagrammes 69-1962 ;
Schinz-Baensch - FriedI - Uehiinger
» Traité de radiodiagnostic » Delachaux et Niestlé - 1956;
Wolff Etienne
« La Science des monstres » Gallimard 1948.

 


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